Conformément à une tradition ancienne, la société du Vendômois apparaît au xviiie siècle dominée par un réseau de seigneurs enracinés dans leur terroir, dont l’autorité, exercée depuis leurs châteaux, alors nombreux, et aussi depuis des résidences urbaines, se matérialise par des privilèges symboliques comme par la maîtrise de terres qui leur assure des revenus et une clientèle de fermiers. Ces châtelains n’ignorent pas les élites roturières urbaines, avec lesquelles peuvent parfois se réaliser des alliances ; le plus souvent cependant, ils tiennent à s’en distinguer.

L’arrivée à Vendôme des parlementaires parisiens, exilés dans la ville en 1753-1754, confronte ces notables provinciaux à des gens qui se rattachent à l’élite sociale du royaume. Mais l’écart entre les uns et les autres n’est pas insurmontable. En réalité, l’influence de la capitale et de la cour, parfois relayée par les châteaux de la Loire, s’exerce en Vendômois durant tout le siècle. Elle se manifeste par l’acquisition des domaines d’Herbault par Dodun en 1710, de Meslay par les la Porte en 1719, de Ranay par Vernage en 1739, de Freschines par Lavoisier en 1778 : tous ces seigneurs nouveaux venus développent dans la région, grâce à leur entregent national, une autorité sociale et souvent économique ; certains font aussi construire, reconstruire ou au moins réaménager des châteaux.

Les Vimeur de Rochambeau offrent un autre schéma. Implantés quant à eux de longue date à Thoré-la-Rochette, ils établissent depuis leur province une permanente relation avec les puissants du royaume : ils sont alliés aux Bégon, famille blésoise en vue bien introduite auprès de la dynastie minis­térielle des Phélypeaux, s’inscrivent dans l’entourage très proche des Conti et des Orléans, et entretiennent d’étroites relations avec certains ministres et avec de puissants financiers.

Par-delà leur diversité, ces différents nobles partagent des intérêts voisins. Beaucoup n’ont pas été insensibles au jansénisme, mais quand le siècle avance, c’est l’influence des Lumières qui est le plus évidente, chez Rochambeau comme chez Mme de Marans. Cette influence inspire un goût très physiocratique pour l’agriculture, chez Salmon du Châtellier comme chez Lavoisier, davantage pour l’industrie chez Jean-François de la Porte. Elle peut expliquer aussi l’attention portée à la science, sensible à Freschines comme au Plessis-Fortia. Mais elle entraîne également dans la noblesse ven­dô­moise des débats, d’ordre politique et social, susceptibles de remettre en cause son homogénéité et sa cohésion (au demeurant toujours relative, en raison de la diversité des niveaux et des fonctions qui s’observe en son sein), voire de menacer sa suprématie sur le reste de la société.